Ces derniers temps, les responsables politiques y ont été de leurs idées et de leurs propositions électorales concernant l’abattage rituel.
Beaucoup de chiffres fantaisistes et d’approximations ont été prononcées. Pour la pêche aux voix tout est bon, dans tous les camps. Les journalistes en ont rajouté.
Dans cette affaire, s’il n’y en avait qu’un à sauver, ce serait Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, qui connaît le sujet, il a signé un décret et un arrêté sur cette question le 28 décembre dernier. Mais dans le concert glapissant de klaxons, qui l’a entendu ?
Dans cet article je ne prendrai pas parti sur la question de savoir si un animal égorgé sans étourdissement préalable souffre plus, ou non, qu’un animal qui l’a été. Bien qu’il soit raisonnable de le penser, il ne me semble pas, en toute sincérité, que cela soit aujourd’hui solidement et scientifiquement établi.

Et quand bien-même cela le serait, je me garderais bien de me prononcer sur des pratiques religieuses qui ne concernent pas le seul être sacré à mes yeux, l’être humain.
Venons-en aux faits.
Les chiffres.
Alors que compte tenu des populations concernées, la demande de viande abattue rituellement ne devrait guère dépasser 10 % (estimation très approximative, les statistiques ethniques étant interdites en France) une enquête conduite dans quinze abattoirs établit que 40 % des bovins et 60 % des ovins y sont abattus rituellement et que la proportion d'animaux abattus rituellement a eu tendance à augmenter ces dernières années.
Comment cela peut-il s’expliquer ?
Dans la presse on a lu que la consommation des arrières étant, selon les cas pour des raisons d’habitude de consommation ou pour des raisons religieuses, moins consommées que les avants par les populations concernées, les premières se retrouvaient dans les circuits de commercialisation des viandes non rituelles et que le consommateur lambda non religieux mangeait ainsi de la viande abattue rituellement.
Cela est vrai, mais cela ne suffit pas à expliquer que l’on abatte selon les rites religieux proportionnellement beaucoup plus d’animaux que la part de la population concernée dans la population totale.
La raison en est la suivante. Un abatteur, lorsqu’il fait abattre des animaux, ne sait pas à qui il les vendra plusieurs jours plus tard, après achèvement de la maturation de la carcasse en frigo. Il ne sait pas quelle sera sa demande en viande rituelle, problème d’autant plus compliqué que la demande ne porte pas que sur ce critère, mais aussi sur la race de l’animal, son sexe, son âge, son état d’engraissement, son gabarit. Pour être prêt à satisfaire toute demande et ne pas perdre de marché, l’abatteur se couvre, il fait donc abattre rituellement plus d’animaux qu’il n’en écoulera dans le circuit religieux. Les carcasses surnuméraires se retrouveront sur le marché ordinaire.
Voilà, c’est tout simple. Voilà pourquoi, Madame, Monsieur, vous achetez de la viande abattue rituellement sans le savoir.
Réglons maintenant son sort au journalisme à la française. Je m’appuierai sur deux articles du Point, et me garderai donc, sur notre sujet d’aujourd’hui, de critiquer les autres organes de presse.
Le N° 2012 du jeudi 8 mars 2012 consacre deux articles à cette affaire d’abattage rituel.
J’ai trouvé deux affirmations parfaitement erronées, dans l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert, intitulé Halalisation à la française (ce n’est pas que le directeur du Point soit particulièrement islamophobe, il est végétarien).
Ce n'est pas une affaire anecdotique, mais une sorte de scandale d'État, enfanté par (…) la cupidité extrême de l'industrie de la viande ou de la grande distribution.
(…)
Les Français mangent halal sans le savoir, puisque leur industrie produit beaucoup plus de viande de ce type que nécessaire.(…) On supprime un poste de la chaîne d'abattage, celui de l'étourdissement, et qu'importe si l'on saigne directement les bêtes, avec toutes les souffrances(…) afférentes. L'essentiel n'est-il pas de gagner davantage ?
Or la vérité c’est que, pour les bovins et les ovins, si l'on n'étourdit pas l'animal, il faut le mettre dans une cage de contention spéciale, ce qui prend plus de temps et présente plus de difficultés que de l'étourdir. Cela n’économise aucun poste de travail et coûte plus cher que de l’étourdir. (Compte tenu des méthodes d’étourdissement adaptées à chaque espèce on pourrait en discuter pour les porcs, mais les cochons ne font pas l’objet d’abattage rituel).
Quand à la cupidité extrême de l’industrie de la viande, Monsieur Giesbert devrait se renseigner sur la situation économique et financière précaire de cette industrie avant de prononcer un tel jugement moral infondé.

En France on ne cesse de fermer des abattoirs − et pas pour cause de délocalisation à l’étranger. Les résultats nets des entreprises de ce secteur ramenés au chiffre d’affaire sont très faibles et, certaines années, globalement en France, nuls ou négatifs. Les entreprises voient continuellement leurs coûts alourdis par de nouvelles normes. Secteur relativement atomisé, la concurrence y joue pleinement et le principal client, très concentré, la grande distribution, fait sa loi, au nom du consommateur. Alors, la cupidité, Monsieur Giesbert, ce mot vous fait mériter un zéro pointé !
Dans l’article publié dans le même numéro du Point, intitulé Halal, ce que nous cachent les abattoirs, de Mélanie Delattre et Christophe Labbé, on peut lire :

Un rapport confidentiel que Le Point s’est procuré jette une lumière crue sur l’abattage rituel (…). Remis aux autorités en novembre 2011, le document (…) a été soigneusement enterré.
Ceci est parfaitement inexact. Un peu d’histoire.
Au début de l’année 2011 une violente campagne d'opinion est conduite par les militants de la cause animalière contre l’abattage rituel. J’insiste sur ce point : pas contre le fait que des animaux abattus rituellement soient commercialisés dans la filière conventionnelle sans que les consommateurs soient informés, mais contre l’abattage rituel.
Le ministère entreprend un examen approfondi de cette question, d’où il ressort l’excellent rapport qui lui est remis en novembre 2011.
Non, Madame Mélanie Delattre et Monsieur Christophe Labbé, ce rapport n’a pas été soigneusement enterré.
Le 28 décembre 2011 Monsieur Bruno Lemaire, ministre de l’Agriculture, signe un décret et un arrêté qui transcrivent dans la réglementation une conclusion implicite du rapport : sont seuls autorisés à pratiquer l’abattage rituel les abattoirs disposant d’un système d’enregistrements permettant de vérifier que l’abattage rituel correspond à des commandes commerciales qui le nécessitent*.
Par ailleurs, en application d'une recommandtion explicite du rapport, une expertise sur la souffrance animale selon les différentes méthodes d'abattage est demandée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) dont les résultats sont attendus dans l'année 2012. Sans compter que rien ne permet à ces journalistes d'exclure qu'un certain nombre d'autres recommandations seront sans doute mises en oeuvre. Pour le savoir il aurait fallu faire correctement son travail et interviewer les reponsables du dossier au ministère de l'Agriculture.
*NB Ce dispositif, appelé à entrer en vigueur le 30 juin prochain, délai permettant aux abattoirs de prendre leurs dispositions, rendra plus difficile l'ajustement de l'offre à la demande de viande rituelle et aura donc sans doute des conséquences sur les coûts des entreprises d’abattage. Ces coûts supplémentaires seront-ils répercutés sur la seule viande abattue rituellement ou sur l’ensemble des viandes, nul ne peut le prédire.
C'est tout pour aujourd'hui !
Pour en savoir plus
Le rapport confidentiel
Le décret du 28 décembre 2011
L'arrêté du 28 décembre 2011
Quelques chiffres de Blezat consulting sur l'industrie de la viande
L'éditorial du Point de Franz-Olivier Giesbert
Un résumé en ligne de l'article du Point version papier