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18 mai 2009 1 18 /05 /mai /2009 21:37

 


J’entame un feuilleton, discontinu, que le lecteur se rassure, je ne souhaite pas le lasser par cinq ou six articles successifs sur le même thème, à savoir la distinction morale entre l’homme et l’animal. Au cours des épisodes j’aborderai ce que nous enseigne la tradition occidentale sur cette question : religion, philosophie, biologie, éthologie, et j’essayerai de faire entrevoir les risques encourus à vouloir abandonner ces enseignements au profit d’une confusion entre l’homme et l’animal.

 

L’épisode n° 1 de ce feuilleton parlera de ce que l’air du temps nous dit.


 


Fin 2001, le philosophe français mondialement célèbre, Jacques Derrida, répondait sur France-Culture à des questions sur sa position à propos du rapport aux animaux.








 
A la première question qui portait sur l’autorisation ou l’interdiction morale d’écraser des cafards, Jacques Derrida a répondu : « Non, il n’y a pas interdiction de tuer quand c’est nécessaire, je demande seulement qu’on éprouve un peu de compassion et de culpabilité ».



 




Puis un peu plus tard :

 

« Il faudra bien qu’on revoie l’élevage industriel concentrationnaire, qui constitue un véritable génocide animal ».

 




Sur France-Culture encore, en juillet 2002, un auteur italien est interviewé a propos du livre qu’il a écrit sur ce qui a précédé la Shoah et qui, sans en être la cause ou pouvoir l’expliquer, était un préalable indispensable à ce qu’elle puisse avoir lieu. Ce sont, nous dit-il, des choses qui ont marqué l’évolution en profondeur des mentalités. Il s’agit d’abord de l’invention de la guillotine, effort de rationalisation, quasi industrielle, de la mise à mort.






 
En second lieu il s’agit des abattoirs, qui au xixe siècle connaissent une rationalisation industrielle.












Ces deux phénomènes sont à rapprocher de la rationalisation et de l’industrialisation des moyens mis en œuvre pour réaliser la Shoah.

 






 





En 2003 une polémique s’est déclenchée en Californie à propos de la campagne publicitaire conduite par une association en faveur des droits des animaux, qui comparait la souffrance des animaux d'élevage à celle des victimes de l'Holocauste.








Cette campagne s'est attiré les critiques virulentes d'une importante association juive qui a dénoncé la « banalisation » de la Shoah. Le concepteur de la campagne a affirmé qu'il était juif et qu'il avait perdu plusieurs membres de sa famille dans les camps de concentration nazis. Il a déclaré s'être attendu à ces critiques. « Le fait est que tous les animaux ressentent la douleur, la peur et la solitude. Nous demandons aux gens de reconnaître que ce que les Juifs et d'autres ont connu pendant l'Holocauste est ce que les animaux vivent chaque jours dans les fermes industrielles ».
 


 







On peut m’objecter que ces références commencent à dater et qu’il n’est pas certain que ce ne fût pas un effet de mode passager. Je ne crois pas qu’il en soit ainsi. En janvier 2008 paraissait en français le livre de l’historien américain
Charles Patterson intitulé : Un éternel Treblinka, des abattoirs aux camps de la mort. Sur le site de vente en ligne d'Amazon, dans « le mot de l’éditeur », on lit :
Dans ce livre provocateur – que certains considéreront même comme scandaleux – mais courageux et novateur, l’historien américain Charles Patterson […] va jusqu’à établir un parallèle entre la façon dont l’homme traite les animaux d’élevage et la façon dont il a traité ses congénères pendant la Shoah. Cet ouvrage a fait l'objet de présentations et de débats dans des émissions de radio et  dans des quotidiens tous fort honorables.

 

Si vous naviguez sur Internet, vous constaterez que ce rapprochement entre élevage, abattage des animaux et Shoah est encore d’actualité, et pas seulement chez les antispécistes, les végétaliens et autres adeptes du veganisme.

 

Pour le moment, de ce constat je ne tirerai  aucune autre leçon que celle-ci : j’aimerais bien savoir ce que Claude Lanzmann et Elie Wiesel en pensent.

Mais j’y reviendrai dans un épisode ultérieur du feuilleton.




















                                                                                           Primo Levi




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5 mai 2009 2 05 /05 /mai /2009 16:56




Après la chute de son avion, le pilote Guillaumet marcha cinq jours et quatre nuits dans les Andes, dans le froid de l’hiver en haute montagne et dans la tempête de neige.






Lorsqu’il retrouva ses camarades de l'Aéropostale, la première chose qu’il dit à Saint-Exupéry fut : « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait. » Ce qui est en cause dans cette déclaration, ce n’est pas l’endurance mais  la volonté et le courage. Guillaumet raconte qu’il se serait bien laissé aller à mourir, pour mettre fin à ses souffrances et s’en aller dans le doux engourdissement du froid. Ce qui l’a conduit à ne pas renoncer, c’est l’idée de ses proches, de leur espoir et de leurs difficultés si l’on ne retrouvait pas son corps.





 


 

Dans la neige […] on perd tout instinct de conservation. Après deux, trois, quatre jours de marche, on ne souhaite plus que le sommeil. Je le souhaitais. Mais je me disais : « Ma femme, si elle croit que je vis, croit que je marche. Les camarades croient que je marche. Ils ont tous confiance en moi. Et je suis un salaud si je ne marche pas. »


 


Et plus tard, alors qu’il est près d’abandonner la lutte :

 

« Je pensais à ma femme. La police d’assurance lui épargnerait la misère. Oui, mais l’assu-rance… » […] Dans le cas d’une disparition, la mort légale est différées de quatre années. […] Tu savais […] qu’un rocher émergeait à cinquante mètres devant toi : « J’ai pensé : « Si je me relève, je pourrai peut-être l’atteindre. Et si je cale mon corps contre la pierre, l’été venu on le retrouvera. » Une fois debout, tu marchas deux nuits et trois jours.









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5 mai 2009 2 05 /05 /mai /2009 00:55



En 2002, au musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon, dans une exposition consacrée aux Romains de Hongrie, on pouvait lire une inscription en vers, du iiie siècle après J.-C., qui tenait lieu d'épitaphe à Aelia Sabina, musicienne à Aquincum,  ville de Pannonie, aujoud'hui Budapest :
 


Ci-gît enclose dans cette pierre ma chère et dévouée épouse Sabina
Formée dans les arts elle y surpassait son mari
Elle avait une voix agréable et grattait les cordes de son pouce
Mais trop tôt emportée, elle se tait désormais. Elle allait vers ses trente ans,
moins cinq ans, hélas, mais avec en plus trois mois et deux fois sept jours. De son vivant c'était une joueuse d'orgue estimée et aimée du public.
Sois heureux, toi qui liras ces lignes, que les dieux te conservent en vie !
Et toi, chante d'une voix pieuse : adieu, Aelia Sabina !


Titus Aelius Iustus, organiste rémunéré par la légion II Adiutrix, a fait élever ce monument à son épouse.

 



Presque deux millénaires plus tard, ce message nous atteint comme s’il était d’hier. Il franchit les siècles, la distance des cultures, et nous transmet l’émotion de qui a éprouvé la perte d’un être cher.

Il est le signe de l'humanité universelle.

Il est aussi le signe de ce qui la distingue de l'animalité.

Antoine de Saint-Exupéry nous a rapporté qu’aucune bête n’aurait fait ce qu’a fait Guillaumet. Quel animal, autre que l’Homme, a-t-il jamais partagé avec l’un des siens l’émotion dont témoigne Titus Aelius Iustus ?

 


Bibliographie

Pour lire le texte dans sa version latine originale et ses commentaires philologiques :

http://books.google.fr/books?id=yd4WeNBYe2QC&pg=PA439&lpg=PA439&dq=Aelia+Sabina&source=bl&ots=
zChwQAHvhQ&sig=Kgh_h1w1w4_VWtY9cNB73furcco&hl=fr&ei=nG
__Sf6rKcu2jAe-_Lj2Bg&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1#PPA427,M
1

page 438

Clausa iacet lapidi coniunx pia cara Sabina.
Artibus edocta superabat sola maritum
Vox ei grata fuit, pulsabat pollice cordas.
Set cito rapta silet. Ter denos duxerat annos,
heu male quinque minus, set plus tres me(n)ses habebat,
bis septemque dies uixit. H(a)ec ipsa superstes
spectata in populo hydraula grata regebat.
Sis felix quicumque leges, te numina seruent.
et pia uoce cane : Aelia Sabina uale.



Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, chap. II.2
 



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