L’utilisation des pesticides organochlorés, et plus particulièrement de l’un d’entre eux, le chlordécone, a été intense aux Antilles françaises.
Le chlordécone a été utilisé contre le charançon du bananier. Les risques de ces produits pour la santé, ainsi que leur grande persistance dans l’environnement ont entrainé des restrictions d’emploi à partir de 1969, puis leur retrait définitif. Le chlordécone a été définitivement interdit aux Antilles en septembre 1993.
Dans Le Parisien du 17 septembre 2007 une interview du professeur Dominique Belpomme, cancérologue ayant exercé à l'hôpital Georges-Pompidou, très engagé dans la cause écologique, faisait l’effet d’une bombe.
Ayant conduit une mission à prétention scientifique à la Martinique, à propos de la pollution par les pesticides, il n’hésitait pas à déclarer : « La situation est extrêmement grave ! Les expertises scientifiques que nous avons menées sur les pesticides conduisent au constat d'un désastre sanitaire aux Antilles. Le mot n'est pas trop fort : il s'agit d'un véritable empoisonnement de la Martinique et de la Guadeloupe ».
« Je pense que cette affaire se révèle être beaucoup plus grave que celle du sang contaminé. Cette fois, c'est toute une population qui a été empoisonnée : celle qui vit aujourd'hui, mais aussi les générations futures. »
« Le taux de cancers de la prostate y est majeur : les Antilles sont au deuxième rang mondial ». « Tout cela est scientifiquement établi, mais nous n'avons pas encore la preuve épidémiologique que les cancers de la prostate sont liés au chlordécone ».
Le lendemain 18 septembre 2007 l’Institut national de veille sanitaire (INVS) publiait un communiqué, dans lequel on pouvait lire :
Du fait de leur rémanence, ces [pesticides] sont toujours présents dans les sols et les habitants des Antilles peuvent être exposés par voie alimentaire principalement. Ceci a conduit l’Institut de veille sanitaire à s’intéresser à ce problème depuis plusieurs années.
(…)
A ce jour, aucun lien n’a été démontré entre l’exposition aux pesticides aux Antilles et les observations sanitaires qui y ont été effectuées : la plus grande fréquence absolue du cancer de la prostate aux Antilles par rapport à la métropole peut être expliquée par l’origine ethnique de la population (facteur de risque bien documenté aux États-Unis).
L’Institut indique que plusieurs études sont en cours concernant le lien possible entre les pesticides organochlorés et diverses pathologies.
Le même 18 septembre 2007 à l’Assemblée nationale le Professeur Belpomme donnait une conférence de presse présentant son "rapport". Après différentes rencontres avec des responsables des Ministères de la Santé et de l’Outre Mer, le Professeur Belpomme a été personnellement auditionné le 7 novembre 2007 par la Commissions des Affaires économiques de l’environnement et du territoire de l’Assemblée Nationale.
Du fait de l’émotion soulevée par cette agitation médiatique, l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a été saisi, en octobre 2007, de deux demandes d’avis concernant cette question, l’une de la commission des Affaires économiques, de l'environnement, et du territoire de l'Assemblée nationale l’autre de la commission des Affaires économiques du Sénat
Le rapport remis le 24 juin 2009 par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques fait le point de la question en 223 pages. Ce rapport se montre très sévère avec les gesticulations et l’absence totale de rigueur scientifique du professeur Belpomme.
On y lit :
Dans un article publié récemment dans l’« International Journal of Oncology », le Pr. Belpomme affirme que le taux de croissance du cancer de la prostate augmente plus vite en Martinique qu’en Métropole. En réponse, les scientifiques travaillant sur ces questions font valoir que la méthode de calcul employée par le Pr. Belpomme pour établir cette progression (…) n’est pas reconnue (…). Et qu’en employant les méthodes reconnues par la communauté scientifique, on obtient des évolutions comparées proches : 5,33 % sur la période 1978 – 2000 pour la métropole, et 5,65 % sur la période 1981-2000 pour la Martinique.
Et plus loin :
« Il est quand même surprenant que le Pr. Belpomme ait refusé d’être auditionné par vos rapporteurs, arguant du fait qu’il était déjà venu deux fois devant la Commission des Affaires Économiques de l’Assemblée Nationale en 2005 et en 2007. Il nous a même écrit qu’il ne s’occupait plus de ce sujet, alors que, dans les mêmes jours, en mars 2009, l’article cité précédemment dans le "Journal International Of Oncology" était publié ».
Et encore :
« Il est quand même singulier que les médias aient donné sur ce dossier la parole quasi exclusivement à certains, alors que les scientifiques de l’INSERM, de l’INVS, de l’AFSSA ont toujours opposé des démentis aux affirmations du Pr. Belpomme. »
Last but not least, une des études en cours en 2007 a été rendue publique en septembre 2009 par l’INVS et l’Association martiniquaise pour la recherche épidémiologique en cancérologie.
Intitulée « Étude de la répartition spatiale des cancers possiblement liés à la pollution des sols par les pesticides organochlorés, en Martinique » cette étude s’appuie sur les données consignées de 1981 à 2000 au registre des cancers de la Martinique, un des plus anciens de France. Elles ont été rapprochées de la cartographie des zones potentiellement polluées par la chlordécone, établie par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Les cancers retenus pour l’étude l’ont été sur la base d’une analyse bibliographique des cancers dont la survenue pouvait être liée à une exposition aux pesticides tant chez l’adulte que chez l’enfant.
Les conclusions de l’étude sont que, pour tous les cancers étudiés autres que le myélome multiple, aucune relation spatiale entre incidence et degré de pollution n’a été mise en évidence. Les résultats doivent être interprétés avec prudence compte tenu des données utilisées mais ils permettent de conclure à l’absence d’épidémie de cancers en rapport avec les pesticides organochlorés en Martinique « comme cela a pu déjà être déclaré dans les media ».
NB. Concernant le myélome multiple seule l’exposition professionnelle est mise en cause, dans des proportions qui n’ont rien à voir avec une sur-morbidité importante : « Au total, (…) le risque attribuable dans la zone 4 [la plus exposée aux pesticides] lié à ce type d’exposition [professionnelle] au cours des années précédentes pourrait s’être traduit par un excès de 12 cas de myélome multiple sur une période de 20 ans (1981-2000) »
La leçon que j’ai retenue de cette affaire, pour ma gouverne personnelle, est que lorsqu’à l’avenir j’entendrai le Professeur Belpomme à la radio ou à la télé, ou un porte-parole de l'association qu'il préside (Association de Recherche Thétapeutique Anti-Cancéreuse, ARTAC) je pourrai baisser le son et vaquer tranquillement à mes occupations.
Bibliographie
Le Parisien, interview du Professeur Belpomme du 17 septembre 2007
Communiqué de l’INVS du 18 septembre 2007
Rapport du professeur Belpomme au nom de l’Artac
Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques du 2009
Synthèse du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques