J’ai commencé la rédaction de cet article un peu avant le tremblement de terre au Japon, le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima.
Je me demandais alors si l’actualité ne commandait pas de traiter un sujet moins vieilli que Tchernobyl et son fameux « nuage arrêté à la frontière ».
Par exemple, pourquoi Tchernobyl plutôt que le prétendu documentaire, charlatanesque, de Marie-Monique Robin, intitulé Notre poison quotidien, qui sera diffusé ce 15 mars sur Arte ? Ce machin chimiocondriaque accuse – une fois de plus, c’est tellement facile – l’alimentation d’être à l’origine d’une prétendue et inexistante épidémie de cancers. Pseudo-documentaire dont une campagne de promotion magistralement conduite m’a amené à ne pas trouver l’ombre d’un cheveu d’une critique dans les articles de presse annonçant sa diffusion.
Un charlatan qui veut nous faire croire que les cancers sont causés par notre alimentation, alors qu’elle-même, selon son propre aveu, fume comme un pompier depuis trente ans.
Une fois connu l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima, je me suis demandé s’il était bien décent de maintenir mon sujet, dont l’actualité était pourtant soudainement redevenu brûlante...
... compte tenu des souffrances et des angoisses encourues par le peuple japonais, manifestant une fois de plus un stoïcisme qui force l’admiration.
Tout bien réfléchi, j’ai répondu : oui.
Dans les jours, semaines et mois qui viennent, nous allons être abreuvés d’interprétations sur cet accident, alors, autant savoir sur qui nous pouvons compter pour nous conter mensonges et calomnies ou pour nous dire la vérité.
L’accident catastrophique de Tchernobyl a eu lieu le 26 avril 1986.
Le 29 avril, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), dirigé par le professeur Pierre Pellerin, communiquait à l’Agence France Presse la composition du nuage, qu’il connaissait grâce aux moyens mis en œuvre à sa diligence. Le 30 avril, lorsque le nuage arrivait aux frontières de la France, le SCPRI adressait un communiqué aux agences de presse. Le vendredi 2 mai, lendemain du 1er mai, jour le plus universellement chômé en France, ces informations étaient reprises par la presse.
Ce jour-là Libération titrait : « La longue dérive européenne d'une nuée radioactive ». Dans l’article on lisait : « Pierre Pellerin, le directeur du service central de protection contre les radiations ionisantes (SCPRI), a annoncé hier que l'augmentation de radioactivité était enregistrée sur l'ensemble du territoire, sans aucun danger pour la santé. »
Bien que le SCPRI ait informé l’opinion du « passage du nuage sur l’ensemble du territoire », le 6 mai 1986, un communiqué incohérent et contradictoire du ministère de l’Agriculture déclarait : « Le territoire français, en raison de son éloignement a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de la centrale de Tchernobyl » ; affirmation fausse, immédiatement suivie d’une affirmation contraire : « À aucun moment les hausses de radioactivité observées n’ont posé le moindre problème d’hygiène publique ». La contradiction est évidente, s’il y a eu « hausses de la radioactivité », c’est bien qu’il y a eu passage du nuage !
Le 12 mai, le journal Libération titrait : « Le mensonge radioactif ». Avec, en sous-titre : « Le nuage radioactif a bien survolé une partie de l'hexagone » et « Les pouvoirs publics ont menti, le nuage radioactif de Tchernobyl a bien survolé une partie de l'hexagone : le professeur Pellerin en a fait l'aveu deux semaines après l'accident nucléaire. »
En dépit du communiqué du ministère de l’Agriculture qui portait à confusion, cette affirmation est fausse, puisque l’autorité officielle en charge de cette question, le SCPRI, dirigé par le professeur Pellerin, avait publié l’information dès le 30 avril. Elle est aussi contraire à ce que le journal Libération lui-même écrivait dix jours plus tôt.
Six ans plus tard, le 9 mai 1990, Monsieur Roger Fauroux, Ministre de l’Industrie et de l’Aménagement du territoire, déclarait à l’Assemblée nationale :
« Je dois préciser, parce qu’il y a, me semble t-il, une légende noire qu’il importe d’exorciser, qu’au cours du fameux week-end du 1er mai 1986, le Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants a donné, heure par heure, aux populations des informations concernant le passage du nuage radioactif. J’ai là une chronologie, que je tiens à la disposition des membres de cette Assemblée, qui indique que rien n’a été dissimulé. »
Par la suite les calomnies contre le professeur Pellerin se sont multipliées.
Dans le livre Ce nucléaire qu'on nous cache, publié chez Albin Michel en 1993, Mesdames Hélène Crié et Michèle Rivasi l’accusent d'avoir « menti aux Français ». Le professeur Pellerin a porté plainte contre les auteurs.
Le 8 décembre 1999 le tribunal de Paris s'est déclaré incompétent, parce qu'à l'époque des faits le Professeur Pellerin était fonctionnaire public : en conséquence, il aurait dû intenter son action devant le tribunal correctionnel. Sur le fond le tribunal a cependant reconnu la diffamation.
Le 23 octobre 1999, au cours de l’émission de télévision « Tout le monde en parle » sur France 2, Monsieur Mamère traitait le professeur Pellerin de « sinistre personnage (…) qui n’arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte (…) que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières ».
Le 11 octobre 2000, la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris a condamné Monsieur Mamère pour avoir accusé le Professeur Pellerin de « mensonge », ainsi que le président de France 2, Marc Tessier. Le tribunal a reconnu le caractère « incontestablement diffamatoire » des propos tenus, et a condamné Monsieur Mamère à 10 000 francs d’amende et 50 000 francs de dommages et intérêts.
Le 3 octobre 2001 la Cour d’appel de Paris confirmait la condamnation de Monsieur Mamère et de Marc Tessier pour diffamation envers le Professeur Pellerin,
Par jugement du 22 octobre 2002, la Cour de cassation rejetait le pourvoi de Monsieur Mamère et de Marc Tessier contre l’arrêt du 3 octobre 2001 de la Cour d’appel de Paris.
Monsieur Mamère a saisi la Cour européenne des doits de l’homme qui, par un jugement du 7 novembre 2006, a condamné la France, au motif qu’en ce cas d’espèce la liberté d’expression était plus importante que la protection de la réputation d’une personne.
Je ne crois pas que ce jugement ait pour l’instant en rien effacé les conséquences des jugements des tribunaux français, tant en ce qui concerne l’amende que les dommages et intérêts. Ni même l’inscription de la condamnation de Monsieur Mamère à son casier judicaire, motif qu’il avait invoqué publiquement pour justifier sa saisine de la Cour européenne. Sinon, il n’aurait pas manqué de s’en vanter.
Les adversaires de Pierre Pellerin ne désarment pas : la Commission indépendante de recherche sur la radioactivité (Criirad), un machin nucléocondriaque, fondé en 1986 par la formidable Michère Rivasi, a déposé une plainte en février 2001 contre les ministres qui, à l'époque, étaient en charge directement ou indirectement de la santé.
La Criirad a ensuite lancé un appel à témoins, pour trouver tous ceux qui, souffrant d'un cancer de la thyroïde, pouvaient avoir intérêt à lier leur affection au fameux « nuage » de Tchernobyl. Elle se portait partie civile, en mars 2001, au nom des 171 personnes réunies dans une association de malades de la thyroïde.
Le lien entre les retombées du nuage de Tchernobyl et le cancer de la thyroïde des plaignants étant impossible à prouver, le 31 mai 2006, le juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy a mis en examen le professeur Pellerin, soupçonné d'avoir minimisé l'impact sanitaire de ces retombées, pour "tromperie aggravée".
Depuis cette date, aucune nouvelle, sinon des fuites du genre fax du cabinet du juge ou des avocats des parties civiles à des journalistes se prétendant d’investigation. Pas d’annonce de renvoi devant un tribunal.
Il est vrai que Madame Bertella-Geffroy est une habituée des instructions qui n’en finissent pas car elle n’arrive pas à les clore. La seule fois qu’elle y est arrivé depuis qu’elle a en charge les dossiers lourdement médiatisés du pôle santé, tous les accusés qu’elle avait renvoyés devant la cour ont été innocentés. Mais ce juge d’instruction est adulé par les victimes ou leurs familles, car « elle les écoute ». Plutôt que la madone des sleepings, la madone des victimes, en quelque sorte !
En attendant, le professeur Pellerin doit être âgé de 91 ans, et cet homme qui a, entre autres services éminents rendus à l’humanité en matière de radioprotection, découvert qu’on pouvait éviter, par l’ingestion préventive d’iode, les cancers de la thyroïde dus à la pollution de l’atmosphère par de l’iode radioactif, risque d’être enterré sans que son innocence ait pu être défendue dans un débat contradictoire et public. Mais ça ne doit pas être la préoccupation de madame le juge. Quand on se prend pour Zorro, on se prend pour Zorro.
Gageons que l’instruction et – en cas de renvoi devant un tribunal – la cour, auront pour le moins du mal à mettre en évidence les conséquences sanitaires de la « tromperie aggravée », si celle-ci s’avérait prouvée.
En effet, les données épidémiologiques ne vont pas dans ce sens. L’Institut national de veille sanitaire déclare en effet ceci :
« Les cancers de la thyroïde représentent près de 7000 nouveaux cas par an en France en 2005 avec un taux d'évolution du taux d'incidence standardisé de l'ordre de 6 % par an entre 1980 et 2005. Leur augmentation est ancienne, continue depuis 1975. Elle a commencé avant 1986 et ne semble pas s’être accélérée après 1986. Cette augmentation est également constatée dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest mais aussi aux États-Unis, non touchés par cet accident, avec une augmentation très similaire en France et aux États-Unis. La répartition Est-Ouest sur notre territoire rend peu plausible l’hypothèse d’un effet Tchernobyl. »
Je tire de tout cela trois conclusions.
1° Un bouc émissaire, en l’occurrence le professeur Pellerin, est utile aux idéologues militants de l’écologisme pour incarner une notion abstraite comme « le lobby nucléaire ».
2° L’expression « Le nuage s’est arrêté à la frontière » est devenu l’équivalent en langage écolo-alarmiste, de la vieille expression populaire, si bien illustrée par Jacques Dutronc dans sa chanson « On nous cache tout, on nous dit rien ! », alors que le sens donné à la première expression, devenu quasiment un tic de langage écolo, est purement et simplement un mensonge. C’est un des sommets de la perversité de la novlangue écologiste.
3° Demain, quand il s’agira de comprendre ce qui se sera passé au Japon, il vaudra mieux écouter les professionnels du nucléaire que les militants écolos, armés de leurs préjugés et de leurs idées reçues. Je n’ai pas écrit « UN professionnel… » mais « LES professionnels… », avec leurs avis nuancés, divers et éventuellement contradictoires.
En effet, quand on souhaite savoir comment on fait du bon ou du mauvais pain, il vaut mieux s'adresser à des boulangers – bien qu’ils aient un intérêt économique à l’exercice de leur métier, un lobby donc – qu’à son conseiller général !
Mon hommage au peuple japonais et à son courage