Il y a environ deux ans, la Région Rhône-Alpes consacrait un numéro spécial de sa revue à glorifier les actions menées par elle ou avec son aide pour lutter contre le réchauffement climatique. Deux pages donnaient des conseils à ses (é)lecteurs pour participer à ce grand mouvement indispensable au sauvetage de l’humanité.
C’est ainsi qu’il était suggéré aux habitants de la région de choisir des produits issus de l’agriculture biologique et du commerce équitable, de faire ses courses à proximité plutôt qu’en hypermarché, de réduire le chauffage et d’enfiler un pull, de partir en vacances près de chez soi, de réduire sa consommation de viande, etc.
Cette littérature reflète un profond mépris des classes pauvres et des classes moyennes, qui représentent pourtant une majorité de l’électorat. On peut donc se poser la question de la signification de tout ce fatras culpabilisateur.
Certains estiment que cette façon des responsables politiques, de tous bords, de s’immiscer dans nos actes de la vie quotidienne traduit une volonté sournoise, plus ou moins efficace, mais délibérée, de contrôler les comportements sociaux. Selon cette thèse, lorsque les citoyens, notamment des jeunes générations, acceptent des restrictions comme normales, ils ont moins de raisons de se révolter contre la dégradation des conditions sociales d’existence.
Cette analyse, pour pertinente qu’elle soit, est insuffisante.
Pendant longtemps l’Église a enseigné aux populations du monde occidental les bases minimales et générales de la morale dans les rapports à autrui. Elle n’intervenait dans la conduite de la vie quotidienne qu’en ce qui concerne la sexualité, chargée dans la plupart des cultures de culpabilité à l’égard des compor-tements considérés déviants selon des critères propres à chacune d’elles.
Certains considèrent les critères de la morale sexuelle du christianisme comme particulièrement restrictifs. Comparés à ceux d’autres cultures je n’en suis pas si certain.
Toujours est-il que la post-modernité a mis à mal cette culpabilité sexuelle.
Comme il faut toujours qu’une disparition soit compensée par une apparition (Rien ne se perd, rien ne se crée, principe psychique autant que chimique), la culpabilité moderne est écologique.
Cette culpabilité n’a pas été inventée par les écolos, mais par Malthus. Toute la philosophie des écologistes politiques se résume à la restriction : se restreindre, ne pas user de toutes les facilités ni du confort de la vie moderne, car s’y livrer, voici le huitième péché capital, qui est d’ailleurs devenu non seulement le premier, mais quasiment le seul : le péché contre la nature…
C’est la culpabilité de ceux qui se pensent riches , la culpabilité de ceux qui, croyants ou incroyants, imprégnés par la culture chrétienne, ont mal digéré la phrase du dialogue avec le jeune homme riche des Évangiles : Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ! C’est la culpabilité de ceux qui n’ont retenu que cette maxime et n’ont pas pris connaissance de la fin du dialogue avec le jeune homme riche. En effet, à ses disciples lui demandant qui, alors, pouvait être sauvé, Jésus répondit : Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu. C’est la culpabilité de ceux qui n’ont pas compris que les Évangiles appellent d’une part un petit nombre d’élus à la sainteté et le commun des mortels à seulement renoncer au mal commun.
L’Ancien Testament ne déclare-t-il pas : Dieu les bénit en leur disant : « Croissez et multipliez ! remplissez la terre et soumettez-la ! commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre ! »
Par ce verset, la religion juive pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’humanité ‒ reprise ensuite par la tradition chrétienne ‒ désacralisait la nature et justifiait que l’humanité s’en rende maître. Le développement scientifique et technologique de l’Occident est l’héritier direct de cette vision de la nature, faite pour être mise au service de l’homme.
Le dialogue avec le jeune homme riche, en vérité, ne condamne pas le progrès technique, économique et social. Il sanctifie l’esprit de pauvreté. Celui-ci, selon l’enseignement de la charité chrétienne, doit être consacré, d’abord et avant tout, à soulager la souffrance et la peine du prochain. C’est ce à quoi les savants et les ingénieurs de l’Occident se sont consacrés depuis la Renaissance, dans le sillage d’un mouvement d’idées né aux environs de l’an 1000. C’est ce à quoi l’écologisme postmoderne nous invite à renoncer, car nul ne saurait vivre sans culpabilité…
Bibliographie
Le rendez-vous citoyen de la région Rhône-Alpes
N° 5 / PRINTEMPS 2007
Ancien Testament :
Gen 1 28
Nouveau Testament :
Le jeune homme riche et Le danger des richesses
Mat 5 16-26
Mc 10 17-27
Lc 18 18-27