Dans l’article L’homme, l’animal, l’utilitariste on a vu que Peter Singer, éminent moraliste utilitariste, professeur de bioéthique à Princeton, dans un entretien publié en octobre 2000 dans la revue de vulgarisation scientifique La Recherche déclarait : « Je ne pense pas que tuer un nouveau-né soit jamais équivalent à tuer une personne. »
Peter Singer part du présupposé antispéciste habituel depuis Bentham. Chez un être vivant, la capacité à ressentir du plaisir ou de la souffrance est, sur le plan de la morale, parmi les plus significatives. Elle n’est pas le propre de l’homme. Comme nous nous refusons aujourd’hui à ne pas prendre en compte les intérêts d’un être humain en raison de son sexe ou de la couleur de sa peau nous devons refuser de na pas prendre en compte les intérêts d’un être vivant pour la raison qu’il n’est pas de notre espèce.
Mule utile et son muletier qui n'a rien compris à l'utilitarisme
Mais, pour Peter Singer, les intérêts ne sont pas tous égaux. Un babouin, par exemple, n’a pas forcément le même intérêt à continuer à vivre qu'un être humain, cela dépend de l'être humain. Si ce dernier possède le sens de son existence dans le temps, ce qu’il appelle avoir une vie biographique et pas seulement biologique, cet être humain a un plus grand intérêt à continuer à vivre.
Posséder le sens de son existence dans le temps suppose des capacités qui sont le propre de l’homme telles que rationalité, autonomie, capacité du langage, capacité de « réciprocité », etc. Mais, à l’évidence, toutes ces descriptions ne s’appliquent ni à un enfant de trois mois ni à un individu dans un coma dépassé.
Un chimpanzé ou un cochon, par exemple, se rapproche bien plus du modèle d'être autonome et rationnel qu'un nouveau-né.
Toute vie humaine ne peut être considérée comme d'égale valeur. Mettre fin à la vie d’un nouveau-né handicapé n'est pas équivalent d'un point de vue moral à tuer une personne.
De la même façon qu’on autorise l’avortement lorsqu’un handicap est détecté avant la naissance, on doit autoriser à mettre un terme à la vie d'un nouveau-né qu'on découvre, à la naissance ou peu après, porteur d'un fort handicap.
A quel degré de handicap ? Lorsque le nouveau-né présente des handicaps tels que sa vie, autant que puissent en juger ses parents, ne pourra être une vie satisfaisante. Peter Singer se refuse à poser lui-même les limites. Il estime que celles-ci relèvent du jugement des parents, éventuellement en concertation avec des médecins.
Ceci soulève la difficulté de décider à quel moment un nourrisson devient une personne. Ce passage est bien évidemment progressif. Mais on peut au moins affirmer que dans le premier mois de son existence, un nouveau-né n'est pas une personne, car à cet âge il est certain que le nouveau-né ne possède pas le sens de son existence dans le temps. Un mois lui semble donc un délai raisonnable à accorder aux parents pour décider si le bébé doit continuer à vivre.
Cela conduit Peter Singer à la dernière étape de son cheminement. Puisqu'un nouveau né n'est pas une personne, l'autorisation de mettre fin à sa vie reste valable si le nouveau né n’est pas handicapé.
Peter Singer affirme sans ambiguïté :
« Je ne pense pas que tuer un nouveau-né soit jamais équivalent à tuer une personne. »
Tuer un nouveau né n’est pas tuer une personne.
Monsieur Peter Singer, éminent défenseur du droit des animaux, qui pense que leur reconnaissance constitue un grand progrès moral pour l'humanité, nous propose donc de revenir 2000 ans en arrière, au temps où le père de famille romain avait le droit d'exposer ses enfants à la naissance, c'est-à-dire de les laisser mourir sur la place publique ou dans la nature.
Il me semble qu’on ne peut que se désoler que Monsieur Peter Singer soit considéré comme un philosophe scrupuleux par certains de ses confrères qui ne partagent pas ses options et qu’il ait obtenu le poste de professeur de bioéthique à l'université de Princeton. Le fait de savoir que sa nomination à ce poste, en 1999, a suscité une grave controverse ne nous sera qu’une faible consolation.
On peut aussi déplorer, car c’est sans doute un signe des temps, qu'une revue comme La Recherche manifeste assez régulièrement de l'intérêt pour ses idées et lui offre ses colonnes pour les exprimer ou les relater. Les thèses de Monsieur Peter Singer n'ont rien à voir avec la science. Ce sont des idées purement morales. La Recherche n'est pas une revue de morale ni de philosophie (sauf lorsqu'il s'agit de philosophie de la Science). Il n'y a donc aucune raison pour que cette revue n'ouvre pas aussi souvent ses colonnes au pape ou au Dalaï Lama qu'à Monsieur Peter Singer !!!
NB1 Je n’ai fait que mettre en phrases plus simples et dans un ordre plus clair l’entretien accordé à La Recherche sans trahir le fond de cet entretien. Le lecteur pourra se référer à l’article original.
NB2 Monsieur Peter Singer essaye de présenter sa morale comme résultant de constats et de raisonnements rigoureux. Mais reprenez en les étapes successives : chacune est parfaitement arbitraire et contestable.
NB3 Monsieur Peter Singer n'a certainement jamais eu d'enfant. Les curés non plus, mais sur la question du nouveau-né ils sont bien plus humains que Monsieur Peter Singer.
Bibliographie
L'entretien avec Peter Singer publié dans le numéro d'octobre 2000 de La Recherche (payant pour les non abonnés)
Lire aussi les épisodes précédents du feuilleton
L’homme, l’animal, l’utilitariste
L'homme, l'animal, le biologiste
L'homme, l'animal, l'éthologie
L’homme, l’animal, les Lumières
Requiem pour les animaux abattus
L'élevage, l'abattoir et la Shoah
Guillaumet
Universelle humanité
Prochain épisode du feuilleton : bientôt