Dans un commentaire à propos d’un précédent article de ce blog, un lecteur, Rémi, se demandait comment expliquer l’ambiance de catastrophisme et de « culpabilisme aigu » qui irrigue un large courant d’opinion, que je qualifierais volontiers de postmoderne (j’entends par là, qui rejette les valeurs de la modernité).
Sur un autre forum, un intervenant disait que le secret de la réussite des lanceurs d’alerte « c’est que le public aime avoir peur, le public veut de la peur. La peur éprouvée en commun crée du lien social. »
C’est incontestable.
Mais, pourquoi la peur crée-t-elle du lien social ?
Parce qu'elle désigne à la communauté un bouc émissaire qui la soude dans la haine d'un ennemi dangereux reconnu comme tel par tous.
René Girard explique de façon assez convaincante comment, dans des situations de crise ou de dissolution, la désignation d’un bouc émissaire ressoude la communauté. Il en démonte le mécanisme.
Pour se convaincre de la valeur de cette explication, il n’y a qu’à lire dans les forums sur Internet les sentiments exprimés à propos des pesticides, des "contaminants" chimiques, récemment de l’affaire de la dioxine à Gilly-sur-Isère : haine des industriels, des scientifiques « à la botte » de ces derniers, des gouvernants, etc. accusés d’être des assassins, des complices, des criminels contre l’humanité…
L'histoire montre que les totalitarismes utilisent la haine du bouc-émissaire.
Communisme
Bouc-émissaire : le koulak en URSS, l'intellectuel en Chine pendant la révolution "culturelle", le citadin dans le Cambodge des Khmers rouges.
Nazisme
Bouc émissaire : le Juif.
Islamisme
Bouc émissaire : l'infidèle.
Par où l'on voit que :
Le communisme est plus opportuniste que le nazisme. Selon les circonstances, il a plusieurs boucs émissaires sous la main, ce qui l'a sans doute aidé à s'acclimater sous divers cieux et à perdurer plus longtemps.
Le bouc-émissaire le plus "universel" est celui que l’islamisme désigne à la vindicte de la communauté, car il n'y a pas autant de Juifs, de koulaks, d'intellectuels ou de citadins que d'infidèles !
Les écolos qui, dans leurs discours, usent et abusent des boucs émissaires sont, d’une certaine façon, les plus ou moins lointains héritiers ou collatéraux, des Rouges, des Bruns et des Verts ! Disons que, jusqu’ici, leur totalitarisme est resté surtout verbal, mais enfin, on trouve des passages à l’acte chez un certain nombre de militants : arraisonnements violents par Greenpeace, intimidation par des destructions de récolte, destructions de plusieurs années de travaux de recherche par les faucheurs volontaires, etc.
Rémi, notre commentateur, se demande aussi pourquoi le "culpabilisme" aigu tend à reprocher à l'activité humaine son existence même, autrement dit notre trop grand nombre – sans pour autant aller au bout du raisonnement malthusien, un génocide.
Tout d’abord, je dirai que certains ne sont pas très loin de l’idée de génocide. Dans mon article Les écologistes n'aiment pas l'humanité on trouvera plusieurs déclarations qui vont dans ce sens.
Mais, revenons à la question, la raison de ce sentiment de culpabilité.
Je pense qu’il s’agit plus d’une peur que d’une culpabilité. La peur de la démographie n’a pas été inventée par les écolos postmodernes, mais par Malthus.
Elle a été remise au goût du jour au XXe siècle par des aristocrates, comme le prince Philipp, et des hommes d’affaires, pour certains milliardaires, tels que David Rockfeller, Maurice Strong, Ted Turner, Rupper Murdoch, qui les ont reformulées dans le cadre de groupes comme le Club de Rome, la Commission trilatérale et le Groupe de Bilderberg.
Quand on consulte la littérature issue de ces cénacles, comme d’ailleurs celle, originelle, de Malthus, on trouve le plus souvent la peur de la prolifération des pauvres, susceptibles, par leur nombre même et leur marche vers un niveau de vie équivalent à celui des pays riches, de remettre en cause les fondements du confort des pays développés et, surtout, de leurs élites sociales.
Cette motivation est très bien décrite dans le roman de Jean-Christophe Rufin Le parfum d’Adam.
Ensuite, pour faire passer dans les masses ce message fort peu charitable, on joue sur la corde sensible de la culpabilité envers la nature, qui trouve ses racines dans le romantisme allemand et le "conservationnisme" américain.
Ajoutez un zest de "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au royaume de Dieu", très janséniste, donc très français, et vous obtenez l'idéologie de la décroissance.
Pour en savoir plus
René Girard, Le Bouc émissaire, Le livre de poche, coll. biblio essais
René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Le livre de poche, coll. biblio essais
René Girard, La violence et le sacré, Hachette Littératures, coll. Pluriel
Jean-Christophe Rufin, Le parfum d'Adam, Folio
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